dimanche 10 septembre 2023

Le chien

 

   Je me souviens du chien que j’ai croisé jadis. En fait c’était plutôt un chiot à ce moment là… C’était un matin d’hiver pendant une balade en campagne, un de ces matins si froid que l’herbe givrée crissait sous mes semelles. Je ne l’avais pas remarqué dans un fossé, mais ce sont ses gémissements qui attirèrent mon attention… Il était au fond du fossé pas très profond boule de poils crasseux, et maigre au-delà de l’imagination. Il baignait dans ses excréments, presque immobile. Je me suis rapproché pour l’observer attentivement. Ses petites yeux me regardaient avec une férocité déconcertante et je voyais ses babines se retrousser sur de petits crocs pointus… Il était évident qu’il n’en avait plus pour très longtemps. Comment en était-il arrivé là, loin de toute habitation ? Fallait-il que je laisse faire la nature ou que j’intervienne ?…

   En deux temps trois mouvements j’ôtais mon blouson et le saisissait précautionneusement en l’enveloppant dans mon vêtement. J’étais quitte pour un lavage du vêtement, mais quelle importance ? La petite créature se débattait sans force sous le vêtement en grognant faiblement…

   J’amenais le chiot chez un vétérinaire et après lui avoir exposé la situation, il le prit en charge jusqu’au lendemain. Je promettais de repasser alors pour un débriefing. Le lendemain donc, le bilan n’était pas reluisant : un état déficient, des problèmes de peau, une infection des oreilles, une incontinence prononcé et une agressivité évidente. Qu’allais-je faire avec ce chiot ? Passer mon chemin après avoir réglé le vétérinaire ou le prendre sous ma protection, avec les problèmes inhérents à son état ?... 

   La première année, le petit animal est resté incontinent. Il ne demandait pas à sortir et faisait ses besoins sous lui. Je ne comptais plus le nombre de fois où je devais le laver chaque fois que je rentrais du travail… Cela me coûtait des confrontations douloureuses et de multiples morsures. Il me tolérait et ne m’attaquait pas si je faisais des mouvements lents. Comme je le comprends : la différence entre une caresse sur la joue et une gifle est la vitesse du trajet de la main…

   La deuxième année, je suis arrivé à le faire sortir, et son incontinence s’est résorbée ; toutefois mes mouvements rapides le basculait en mode agressivité. Toute autre présence que la mienne provoquait une attaque immédiate. J’évitais moi-même de le fixer dans les yeux, craignant aussi une attaque à mon encontre. Il me laissait rarement le caresser. Représentait-il un danger pour moi, un danger pour les autres ? Les autres chiens ne s’approchaient pas, même les plus gros. Son regard me faisait frémir de peur.

   Qu’aurais-je dû faire dès lors ? Le faire piquer ? Le faire rééduquer ?…

   J’ai alors choisis la rééducation par un professionnel… Après cela le chien se laissait toucher bon gré mal gré ; mais je sentais la tension, ses muscles se tendre, ses mouvements devenaient saccadés et ses yeux mauvais… Parfois il grognait et claquait la mâchoire dans le vide pour me mettre en garde…

   Un matin de la troisième année, comme je sortais sa nourriture à sa cabane avant d’aller travailler, j’ai découvert son absence. Il n’était plus là. J’ai eu beau l’appeler, chercher partout, c’est comme s’il n’avait jamais existé…

   Je ne l’ai jamais revu. Tous mes efforts pour le retrouver furent vain. Il me plaît de penser qu’il a retrouvé les siens quelque part dans la campagne ; ne pouvant imaginer qu’il ait accepté un autre compagnon bipède. A moins qu’il ait décidé de boucler le cycle de son existence en retournant à la source de son existence, un fossé peu profond, dans le froid et la solitude.

   Je l’appelais juste « le chien »...

Le pourfendeur de monstres

     Dans tout conte pour enfant on a les éternels protagonistes du « bon » et du « méchant ». Il importe peu de les présenter dans un ordre...