jeudi 18 janvier 2024

La lisière

   La lisière est la limite d’un biotope, d’une zone, d’un environnement, qui marque le changement de celui-ci par un autre environnement… Empiriquement, on peut extrapoler l’idée est la reporter à la limite d’un comportement, d’une psyché, d’une nature profonde qui amène à quelque chose de différent…

   Nous vivons toutes et tous sur la même planète, dans différents environnements, différentes cultures, différentes structures gouvernementales et familiales… Et parmi nous tous, certains vivent à la lisière de tout cela. Si on devait départager cet imbroglio d’existences, je dirai qui y a celles et ceux qui vivent dans leur milieu sécurisant ; et celles et ceux qui vivent en bordure : à la lisière.

   Dans ce dernier groupe, on pourrait aussi départager celles et ceux qui ont choisis volontairement de s’installer à la bordure de leur monde ; et puis celles et ceux qui y sont nés…

   Où est-ce que je veux en venir ?

   La question que je me pose est : les gens de l’intérieur du monde ont-ils la capacité d’empathie envers ceux de la lisière du monde, et vice-versa ? Au-delà de l’empathie, peuvent-ils vraiment comprendre l’autre ?

   Je pense à la narration de quelqu’un de cher qui m’a amené à cette réflexion :

   "Imaginez une grenouille qui vit tranquillement au bord d’un étang, quelque part en campagne… Sa vie se cantonne à se baigner, se nourrir d’insectes et assurer la perpétuité de son espèce ; suivant le rythme du climat et des saisons. Son seul univers est l’étang, l’ombrage des broussailles, des arbres, et la plénitude de son étang parfois dérangé par des créatures géantes qui se meuvent sur deux pattes…

   Et voilà qu’un jour, une créature vaguement semblable à elle lui tient conversation, lui causant de contrées qu’elle n’a jamais vu : un lac sans fin, d’un seul bord tellement grand que sa vie entière de déplacement ne suffirait pas à en faire le tour. D’une étendue si immense que sa capacité à se mouvoir dans l’eau n’en viendrait pas à bout… Même que cette eau n’en serait pas douce mais d’un goût affreux. Et dans ce lac sans fin, vivent des créatures tellement énormes que la grenouille passerait inaperçue !

   La grenouille ricane et pouffe : cela n’existe pas, c’est du pur délire, un fantasme obscène et ridicule. Le monde est là devant elle : l’étang déjà immense, ces amies batraciennes, les insectes grands voyageurs et nourriture excellente, et les quelques prédateurs qui ne s’éloignent jamais de trop…"

   Comment convaincre, persuader cette grenouille qu’il y a des océans, des cétacés ou des crustacés au-delà de son champ de vision, de son champ de compréhension ?

   Je suis entré dans ce monde par la lisière. J’y ai été maintenu un certain temps par les autres. Était-ce pour mon bien ou mon mal ? Cela n’a aucune importance. Le fait est que l’incompréhension est réciproque entre les autres et moi. J’ai tenté en vain pendant des décennies à essayer de comprendre le monde qui m’entourait, et le monde qui m’entourait a aussi essayé de me comprendre en vain…

   Cet être cher m’a simplement conseillé de renoncer à comprendre ou être compris : c’est impossible parce que ce monde n’est pas le mien ! Là réside l’erreur de chacun : se convaincre qu’on est en capacité de comprendre ce qui ne nous est pas semblable !

   J’ai fini par accepter le conseil de cette personne de la lisière du monde. Depuis, ma fureur et ma cruauté ont moins d’impact sur ma vision des choses.

   Est-ce là le début de la compréhension lorsqu’on renonce ?...


4 commentaires:



  1. En premier te dire que j'ai beaucoup aimé ton texte qui aborde une question assez fondamentale. Et dont le titre contient en lui-même une certaine forme de réponse.
    Je commenterai à partir de la dernière phrase « est-ce là le début de la compréhension lorsqu'on renonce ? »
    Tu as raison en ceci : pour comprendre l'autre, il faut renoncer. Mais à quoi ?
    Probablement renoncer à croire qu'on est le centre, juste prolongée par le petit environnement étriqué et qu'on croit immense. Renoncer à être comme la grenouille de l'histoire. Se mettre en route pour aller jusqu'à la lisière de soi et de son territoire. C'est aux frontières que le meilleur se passe et se tient.
    Lorsque j'étais en formation visant l'aide à la personne en difficulté, on nous invitait à : « comprendre l'autre comme il se vit ». C'est-à-dire finalement accompagner l'autre pour qu'il puisse mieux se comprendre lui-même. C'est autre chose que de vouloir à tout prix être compris et tout comprendre. C'est-à-dire renoncer à une forme de « toute-puissance ».
    Car quoi qu'il en soit qu'il arrive, la grenouille, et les grenouilles que nous sommes ne pourrons jamais étendre à l'infini le champ compréhension. Nous sommes des êtres forcément limités, mais peut-être devons-nous essayer de tenter d'aller jusqu'à la lisière de nos limites, lisière qui est peut-être plus éloignée que celle que l'on perçoit aujourd'hui.

    L'être cher que tu évoques t'a donné un sage conseil. Je me permets d'ajouter une nuance dans le comprendre et être compris qui serait : « à tout prix au risque de se perdre ». Cela ne peut pas être un but de vie. C'est probablement cela qui apaise ta « fureur et cruauté » (pour reprendre tes mots).
    Je trouve que voilà un bon chemin…
    Amitiés

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    1. Ta profondeur de réflexion est superbe et impressionnante. Comme interlocuteur, j'avoue être enthousiaste à te lire, quand bien même tu n'es pas d'accord avec ma pensée. C'est bien la différence qui enseigne et non l'identique...
      Merci de ton intervention.

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  2. J'aimerais écrire un commentaire sensé mais je ne me sens pas à la hauteur.
    Par exemple, moi, je pense vivre à la lisière de la société consumériste qui est la nôtre, mais savoir ça ne vous aidera pas.
    Toutefois, lire que « votre fureur et votre cruauté » ont moins d’impact sur votre vision des choses me fait plaisir.
    Bien à vous.
    Mme Chapeau

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    1. Mme Chapeau.
      Nous ne sommes point là pour comparer nos expériences mais au contraire pour les fusionner... Mon texte est-il un appel à l'aide, ou est-ce seulement une réthorique ?... (Je ne cherche pas à la savoir.) En tout cas, merci de me lire et d'intervenir même modestement. Cordialement.

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